Dispense pour le travail en équipe : encore beaucoup de zones d’ombre
Si vous occupez des travailleurs dans un système de travail en équipe, vous pouvez à certaines conditions bénéficier d’une dispense partielle de versement de précompte professionnel de 22,8 % (25 % en cas de travail en continu).
Pour être considéré par le fisc comme du travail en équipe, celui-ci doit répondre à plusieurs conditions. Il doit s’agir d’un travail effectué :
- En au moins deux équipes de minimum deux travailleurs
- Qui font le même travail tant au niveau de son objet que de son ampleur
- Qui se succèdent dans le courant de la journée sans interruption entre les équipes successives et
- Lorsque le chevauchement n'excède pas un quart de leurs tâches journalières
La loi n’explique toutefois pas ce qu’implique chacune de ces conditions. Une circulaire de 2019 précise que la condition selon laquelle les équipes doivent faire le même travail en ce qui concerne son objet et son ampleur doit être appréciée au niveau de l’équipe et non pas sur la base des activités individuelles des travailleurs faisant partie de l’équipe. Autrement dit, il faut examiner l’ensemble des activités individuelles.
Pour le reste, la loi n’explique pas ce que signifient les notions d’« objet » et d’« ampleur » de l’activité. Elles doivent donc être interprétées concrètement au cas par cas.
Aujourd’hui encore, beaucoup d’incertitudes subsistent quant à l’application de la dispense pour le travail en équipe. Ces notions ont par ailleurs déjà donné lieu à de nombreux litiges comme celui que nous analysons dans cet article.
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 février 2024
Une différence de traitement
Dans le cadre de deux affaires qui étaient portées devant elle, la Cour de Cassation a estimé que seules les entreprises dans lesquelles les équipes accomplissent un travail de même ampleur, comme dans le secteur industriel, peuvent bénéficier de la dispense.
A contrario, sont selon elle exclues de la dispense, les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes :
- varie selon les heures de pointe et les heures creuses
- est comparable mais pas la même
La position de la Cour constitutionnelle
Interrogée par la Cour de Cassation sur la compatibilité de cette différence de traitement avec le principe d’égalité et de non-discrimination, la Cour constitutionnelle a jugé que celle-ci n’était pas contraire à la constitution. Selon elle, cette différence de traitement reposait en effet sur un critère objectif : le caractère identique ou non de l’ampleur du travail effectué.
Compte tenu de la large marge d’appréciation du législateur et des objectifs qu’il poursuit, la Cour constitutionnelle a en outre estimé que l’interprétation stricte de la condition de « même travail» ne violait pas les principes d’égalité et de non-discrimination.
La Cour constitutionnelle a jugé qu’il n’était pas inconstitutionnel d’appliquer la dispense fiscale pour le travail en équipe uniquement aux entreprises dans lesquelles les équipes faisaient le même travail quant à son objet et quant à son ampleur.
La Cour relève en effet que cette interprétation est pertinente pour atteindre le double objectif que poursuivait le législateur. Cet objectif consistait d’une part, à éviter que des employeurs réorientent leur organisation du travail vers un travail en équipe dans le seul but de bénéficier de l’avantage fiscal et d’autre part, à contenir le coût lié à la mesure.
Selon la Cour, le fisc est ainsi en droit d’exiger des entreprises qui souhaitent bénéficier de la dispense que leurs équipes effectuent un travail identique tant au niveau de son objet qu’au niveau de son ampleur.
Que va faire le fisc suite à cet arrêt ?
Impact pour 19 000 entreprises
Bien que la notion de « travail de même ampleur » ne soit pas nouvelle, l’interprétation stricte donnée par la Cour ce 8 février a eu l’effet d’un raz-de-marée pour les plus de 19 000 entreprises concernées.
Ces entreprises, et en particulier celles des secteurs non-industriels, pourraient en effet perdre le droit à la dispense, en cas de contrôle, parce que leurs équipes ne sont pas constituées du même nombre de personnes et n’effectuent le même travail.
Pourtant, bien que la mesure visait initialement le travail en équipe dans les secteurs industriels, le législateur a fait le choix à l’époque de ne pas limiter le champ d’application de la mesure à ces secteurs.
Exemple : nombre de personnes
L’entreprise Galvalix occupent des travailleurs dans un système d’équipe. L’’équipe du matin diffère légèrement en terme de nombre de personnes, de celle de l’après-midi. En cas de contrôle, cette entreprise pourrait ne plus répondre aux conditions de la dispense.
Exemple : un même travail
Il en irait de même pour l’entreprise Indusoc dans laquelle l’équipe du matin et l’équipe de l’après-midi n’effectuent pas un travail identique. En effet, dans cette entreprise, l’équipe du matin charge les camions pour qu’ensuite l’équipe de l’après-midi puisse conduire ces camions chez les clients. En cas de contrôle, le fisc pourrait estimer qu’il n’est plus répondu à la condition de « même travail ». L’entreprise indusoc perdrait alors le bénéficie de la dispense.
Qu’en pense le fisc ?
En clamant que cette interprétation stricte n’était pas contraire à la constitution, la Cour ne modifie pas les conditions de la dispense fiscale; Elle donne néamoins la possibilité au fisc de restreindre la définition fiscale du travail en équipe.
Ce n'est pas pour autant que l’administration fiscale utilisera cette possibilité.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous en tant qu’employeur?
A ce jour, nul ne sait si le fisc suivra l’interprétation stricte du travail en équipe donnée par la Cour constitutionnelle.
Par contre, il est à craindre que les autorités fiscales, fortes de cet arrêt, ne fassent preuve d’une plus grande sévérité lors des contrôles fiscaux visant cette dispense.
Il est conseillé d'examiner de plus près le système de travail en équipe existant pour lequel vous demandez une dispense. Dans le contexte de cet arrêt, il est préférable de veiller à documenter suffisamment votre système de travail en équipe afin d'être en position de force en cas d'inspection éventuelle.
Source
- Arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 février 2024, n° 21/2024