Par ailleurs, un arrêté royal prévoit quelques changements dans le cadre de la demande d’intervention psychosociale formelle introduite auprès du conseiller en prévention aspects psychosociaux. Vous pouvez en lire plus dans notre autre actualité de ce jour.
Dans quel contexte cette nouvelle réglementation a-t-elle vu le jour ?
Comme le souligne le SPF Emploi et Travail, la raison de ces modifications est notamment un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (l'affaire "Hakelbracht"), qui a jugé le système légal de protection des lois fédérales anti-discrimination insuffisant au regard des obligations imposées par les directives européennes.
Dans ces lois, seuls les témoins qui ont déposé leur témoignage dans un document écrit dans le cadre d’une plainte officielle sont protégés. Selon la Cour, la directive vise la protection des travailleurs ayant pris la défense de la personne protégée ou témoigné en sa faveur tant de manière formelle qu’informelle.
Pour s'y conformer, les trois lois fédérales de lutte contre les discriminations ont élargi le champ d’application des personnes protégées, et supprimé les exigences formelles.
Vu que la loi relative au bien-être des travailleurs vise aussi des comportements discriminatoires – à savoir les comportements de violence ou de harcèlement basés sur un critère de discrimination (tels que l'origine nationale ou ethnique, le sexe, le handicap, l'âge, l'état de santé actuel ou futur, l'orientation sexuelle, …) et les comportements de harcèlement sexuel, elle a également dû être modifiée pour répondre à l’arrêt de la Cour de Justice.
L'arrêté royal, quant à lui, met en œuvre les modifications apportées à la loi relative au bien-être.
Vous trouvez ci-dessous une explication au sujet des diverses modifications qui interviennent dès ce 1er juin.
Protection pour les témoins informels
Jusqu’à présent, la protection était étendue aux personnes intervenant en tant que témoins officiels pouvant produire un document daté et signé reprenant leur témoignage.
Dans le souci de se conformer à la législation et à la jurisprudence européennes, la loi étend la protection contre les représailles en faveur des témoins informels. Cette protection vaut uniquement pour les situations relevant un fait discriminatoire.
Cette extension s’applique :
- Aux personnes qui interviennent comme témoin ou qui ont fait un signalement ou introduit une plainte au bénéfice de la personne concernée par la violation alléguée
- Ainsi qu’aux personnes qui conseillent, aident ou assistent la personne
- Et à toute personne qui invoque la violation de cette législation, même s’il n’y a pas encore de personne touchée par la violation
Le soutien apporté par les tiers doit être un soutien actif. Il faut entendre par là que la personne doit orienter ou conseiller la victime, l’encourager à porter plainte ou encore témoigner en faveur de la victime présumée.
La simple connaissance des faits sans l’utiliser au profit de la victime présumée ne permet donc pas de bénéficier de la protection contre les mesures préjudiciables.
L’exigence de ce rôle actif est nécessaire afin que l’employeur puisse raisonnablement savoir que le travailleur a agi en faveur d’une victime présumée, et qu’il est donc également protégé.
Notre conseil
Faites en sorte de vous tenir informé de tout ce qui se passe sur le lieu de travail.
Catherine introduit une demande d’intervention psychosociale formelle pour harcèlement moral en lien avec des faits de discrimination de la part d’un collègue. Imaginez que l’employeur de Catherine veuille licencier un autre collègue, Kurt, parce que ses prestations ne sont pas à la hauteur. Ce motif n’a donc rien à voir avec le harcèlement moral dont Catherine prétend être la victime.
Vous apprenez par la suite que Kurt est allé trouver un délégué syndical à plusieurs reprises pour défendre Catherine. Kurt est donc protégé contre les représailles. S’il invoque qu’il a été licencié en raison de son soutien à Catherine, cela risque de compliquer son dossier de licenciement.
Nouveau point de départ de la protection
Que ce soit pour des situations en lien avec des faits de discriminatoires ou non, le début de la période de protection a été modifié. Jusqu’à présent, il s’agissait de la date de réception de la demande formelle, de la plainte ou du témoignage.
La loi mentionne dorénavant que le point de départ de la protection est le moment où l’employeur a connaissance ou a pu raisonnablement avoir connaissance de l’introduction de la demande d’intervention psychosociale formelle, du signalement, de la plainte ou du dépôt de témoignage.
Notre conseil
Soyez particulièrement vigilant dans les situations en lien avec des faits de discrimination. Pour rappel, aussi bien les victimes présumées ayant introduit une demande formelle ou une plainte, que celles ayant fait un signalement informel, sont protégées contre les représailles.
Il en vaut de même pour les témoins. Qu’ils soient des témoins directs ou indirects, ils bénéficient de la protection contre les représailles, que le témoignage soit fait de façon formelle ou informelle.
Et cette protection s’applique dès que, en tant qu’employeur, vous avez eu connaissance, ou avez raisonnablement pu avoir connaissance, du signalement, de la plainte ou du témoignage.
Pour reprendre l’exemple de Catherine, si elle vous a informé qu’elle se sent discriminée, sans avoir l’intention d’introduire une demande formelle, ou qu’elle vous a informé qu'elle envisageait déposer une demande d’intervention formelle pour des faits de discrimination, elle est déjà protégée.
Catherine ne doit donc pas attendre le dépôt formel de sa demande ou introduire une plainte auprès d’une instance officielle pour bénéficier de la protection.
Délivrance d’une nouvelle attestation
Les travailleurs qui entreprennent les démarches visant des faits de violence ou de harcèlement moral au travail liés à un critère de discrimination, ou des faits de harcèlement sexuel doivent être en mesure de prouver qu'ils ont entrepris ces démarches afin de bénéficier de la protection contre les représailles.
A cet effet, ils peuvent demander une attestation à l'employeur, à l'organisation, au service ou à l'institution auprès desquels ils ont entrepris la démarche. Cette possibilité existe également pour les témoins informels.
Cette attestation est également une preuve écrite et datée qui peut être transmise à l'employeur lorsque les démarches ont été effectuées auprès d'un organisme externe. La charge de la preuve est donc allégée pour le travailleur. Grâce à cette information de l'employeur, le travailleur a la certitude que l'employeur est au courant de ses démarches.
L'attestation doit contenir l’identité de la personne, les démarches réalisées, la date de la démarche et celle de la demande de cette preuve.
Notre conseil
Il se peut donc qu’un de vos travailleurs vous soumette une attestation d’une démarche réalisée (signalement, plainte, témoignage etc.) auprès d’une instance comme l’Institut pour l’égalité entre femmes et hommes, UNIA, le syndicat, le service externe pour la prévention et la protection au travail etc. et qu’il vous en demande un accusé de réception.
Il est tout aussi possible qu’un travailleur vous demande cette attestation (à vous en tant qu’employeur), ou à toute autre intervenant au sein de l’entreprise auprès duquel il a fait un signalement ou un témoignage. Vous êtes alors dans l’obligation de la lui fournir.
La protection s’étend aussi au contenu de la demande
Les travailleurs qui ont introduit une demande d’intervention psychosociale formelle pour comportements transgressifs sur base de la législation relative au bien-être au travail, qu'il s'agisse d'une situation en lien avec des faits discriminatoires ou non, bénéficient d’une protection contre les mesures préjudiciables qui pourraient être prises par l’employeur pour des motifs liés à cette demande, mais aussi à son contenu.
Jusqu’à présent, l’employeur ne pouvait pas résilier le contrat de travail du travailleur, sauf pour des motifs étrangers à la demande, au signalement, à la plainte ou à l’action en justice. Cette mesure a fait l’objet de nombreuses controverses dans la jurisprudence et dans la doctrine.
Dans ses arrêts du 20 janvier 2020 et du 15 juin 2020, la Cour de Cassation a jugé que le licenciement pouvait être justifié par des raisons découlant des faits énoncés dans la plainte, et donc du contenu de la demande.
Le législateur a estimé que la position de la Cour de Cassation limitait considérablement la protection du travailleur contre les mesures préjudiciables. Il a donc décidé de faire référence explicitement au contenu, afin de rendre impossible la justification d’une mesure préjudiciable sur bases des faits allégués lors d’une demande, d’un signalement, d’une plainte ou d’une action en justice.
Exemple : reprenons l'exemple de Catherine qui a introduit une demande d’intervention psychosociale formelle pour harcèlement moral de la part d’un collègue. Sous l’ancienne législation, Catherine ne pouvait pas être licenciée par son employeur pour avoir introduit cette demande, mais elle pouvait l’être en raison du conflit qui l’oppose à ce collègue.
L’introduction de la nouvelle loi implique que Catherine est désormais aussi protégée s’il s’avère que son licenciement était motivé par ses problèmes avec le collègue en question. Les motifs du licenciement sont en effet liés aux faits qu’elle a invoqués dans sa demande.
Notre conseil
Vous envisagez de licencier un travailleur protégé ? Assurez-vous que les motifs du licenciement ne peuvent pas être reliés au contenu (lisez : les faits dénoncés) d’un signalement, d’une plainte, d’une action en justice ou d’une demande.
S’ils peuvent l’être, et que vous êtes confronté à une action dans le cadre de la législation anti-discrimination, vous risquez de devoir payer une indemnité supplémentaire de six mois de salaire.
Le cumul des dommages et intérêts légalement autorisé
Le législateur a levé l’ambiguïté qui subsistait au niveau du cumul des dommages et intérêts. La loi prévoit explicitement que les dommages et intérêts suite à des comportements transgressifs avec ou sans discrimination peuvent être cumulés. En effet, les indemnités ne réparent pas les mêmes dommages.
Par ailleurs, si les dommages et intérêts n’étaient pas cumulatifs, l’auteur de l’acte ne serait pas sanctionné.
Exemple
Caroline passe à côté d’une promotion en raison de sa grossesse. Elle entame une procédure judiciaire pour obtenir réparation. Le juge estime qu’il s’agit d’une discrimination, et octroie à Caroline des dommages et intérêts équivalents à six mois de salaire brut. Cette indemnité couvre le préjudice qui découle de la discrimination proprement dite.
L’employeur est contrarié parce que Caroline a entamé une procédure judiciaire, et il la licencie. De ce fait, Caroline subit à nouveau un préjudice qui, cette fois, découle de la mesure préjudiciable (le licenciement) qui a été prise de manière injustifiée en guise de représailles. Elle peut obtenir des dommages et intérêts à cet égard.
Demande de réintégration facultative
Jusqu'à présent, la législation prévoyait que le travailleur est en principe obligé de présenter une demande de réintégration. A défaut, il ne pouvait pas percevoir des dommages et intérêts.
La loi supprime l’obligation de réintégration, de sorte que le travailleur peut obtenir plus facilement l’indemnité en cas de mesures préjudiciables pour des faits discriminatoires ou non.
Autres changements spécifiques à la loi bien-être
La nouvelle loi apporte aussi quelques petites modifications à la loi sur le bien-être au travail :
- La liste des critères de discrimination pouvant être à l’origine de la violence et du harcèlement moral a été retirée de la définition du harcèlement moral et déplacée, afin de mettre en évidence que ces critères peuvent être à l’origine tant des comportements de harcèlement moral que des comportements de violence au travail. De plus, de nouveaux critères ont été ajoutés afin de tenir compte des nouveaux critères protégés insérés par la loi Genre (les caractéristiques sexuelles, la grossesse, l’accouchement, l’allaitement, la maternité, l’adoption, la procréation médicalement assistée, le changement de sexe, la paternité et la comaternité).
- La définition du harcèlement sexuel a été uniformisée sur celle de la loi Genre, afin de correspondre à la définition contenue dans la législation européenne.
- À la suite de décisions de jurisprudence contradictoires, il est clarifié que le juge pénal peut également octroyer l’indemnité forfaitaire lorsqu’il est amené à statuer sur les dommages et intérêts civils.
- La protection contre les mesures préjudiciables offerte par la loi sur le bien-être au travail est désormais uniquement applicable aux travailleurs qui entreprennent des démarches pour dénoncer des faits qui ne sont pas liés à un critère de discrimination. Les personnes qui dénoncent un comportement discriminatoire disposent des dispositifs de protection mis en place par les lois anti-discrimination.
Quand ces mesures entrent-elles en vigueur ?
Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er juin 2023.
Que fait Securex pour vous ?
Vous avez des questions au sujet de ces nouvelles mesures de protection ? Contactez votre service externe de prévention et de protection au travail, si votre demande est liée à une demande d’intervention psychosociale.
Votre Legal Advisor Securex se tient également à votre disposition. Vous pouvez le/la contacter à l’adresse suivante : myHR@securex.be.
Sources
- Loi du 7 avril 2023 modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, et la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail, pour ce qui concerne la protection contre les mesures préjudiciables
- Arrêté royal du 1er mai 2023 modifiant le titre 3 du livre Ier du code du bien-être au travail concernant l’information de l’employeur relative à la protection contre les mesures préjudiciables dans le cadre de la procédure interne