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Un employeur peut-il consulter les courriers électroniques de ses travailleurs pour prouver un motif grave ?

Plusieurs cas de figure se présentent.

Dernière mise à jour le 19 janvier 2024

Preuves récoltées de manière illicite

1ière affaire : mails dénigrants

Une des collègues visées par des courriers électroniques dénigrants les ayant reçus en copie, les avait imprimés et remis à son employeur. Celui-ci avait immédiatement rompu le contrat de l’auteur de ces courriers et lui avait versé une indemnité de rupture.

Le travailleur porta ensuite l’affaire devant les tribunaux, invoquant l'abus du droit de licencier. Selon lui, l’employeur avait eu connaissance de ces courriers électroniques de manière illégitime car contraire à la législation sur la protection de la vie privée et ne pouvait donc pas en utiliser le contenu comme motif de licenciement.

Décision de la Cour

Dans cette affaire, la Cour [1] considère que l’employeur a le droit de licencier un travailleur dont le comportement est irresponsable et que ce droit ne cesse pas d’exister sous prétexte que l’employeur est informé de cette attitude du travailleur d’une manière irrégulière. L’abus du droit de licencier requiert en effet une faute particulière dans le chef de l’employeur. Le juge estime qu’en l’occurrence, cette faute n’est pas présente, en ce que l’employeur n’a pas pris connaissance des courriers électroniques par le biais d’un contrôle illégal de l’utilisation du courrier électronique dans l’entreprise, mais par la remise d’un exemplaire imprimé de ces courriers par l’un des travailleurs mentionnés par ces courriers.

Toutefois, la Cour souligne encore que, bien que le droit de licencier ne disparaisse pas en soi du fait de l’obtention irrégulière d’informations, un licenciement pour motif grave ne pourrait pas pour autant être fondé sur ces informations.

2e affaire : mails à connotation sexuelle

La travailleuse qui en avait assez des continuelles déclarations d’amour qu’elle recevait par courrier électronique de la part de son chef direct et en fit part à son employeur qui licencia pour motif grave l’auteur de ces courriers.

Le travailleur licencié porta l'affaire devant les tribunaux et contesta le licenciement au motif que la preuve du motif grave avait été obtenue de manière irrégulière car contraire à la législation sur la protection de la vie privée et ne pouvait donc pas être utilisée pour étayer le licenciement.

Décision de la Cour

Dans cette affaire, la Cour du travail de Bruxelles [2] rappelle que, sauf autorisation de toutes les personnes concernées, il est interdit de prendre connaissance ou de faire usage intentionnellement de données en matière de télécommunications et relatives à une autre personne [3]. Il considère que l’employeur avait besoin des exemplaires imprimés des courriers électroniques et les a utilisés pour apporter la preuve du motif grave et qu’en cela, il a enfreint la loi. Les exemplaires imprimés qui ont été produits ne pouvaient pas être utilisés à titre de preuve. Pour cette raison, l’employeur a été condamné à payer une indemnité de rupture au travailleur licencié.

3e affaire : concurrence déloyale

La Cour du travail de Bruxelles [4] a également décidé dans une troisième affaire qu'est illégale la preuve d'un prétendu motif grave (un acte de concurrence déloyale) obtenue par la production de courriels et de documents à caractère personnel stockés par le travailleur sur l'ordinateur mis à sa disposition par la société. La Cour a argumenté sa décision par le fait que l'employeur a procédé à l'examen de l'ordinateur à l'insu du travailleur et qu'il n'a pas précisé les circonstances et le but du "contrôle de routine " auquel il a procédé. Les aveux obtenus par la production de pièces illicites ne peuvent par ailleurs pas non plus être retenus.

De ces 3 affaires, il ressort que les exemplaires imprimés des courriers électroniques ne peuvent pas être utilisés dans une procédure de licenciement pour motif grave, si toutes les parties concernées n’y ont pas consenti.

L’employeur qui souhaite licencier un travailleur sur la base de courriers électroniques au contenu malveillant ne pourra donc pas le faire pour motif grave, mais devra toujours payer une indemnité de rupture au travailleur.

4e affaire : preuve illicite, mais admise

Dans une affaire plus récente portée devant la Cour du Travail de Bruxelles, la Cour du Travail de Bruxelles a cependant accepté des éléments de preuve illicites.

En l’espèce, une travailleuse a estimé que les mails à l’appui de son licenciement pour motif grave avaient été obtenus en violation de la CCT n° 81.  La Cour du travail n’a pas partagé ce point de vue dans son arrêt du 8 février 2019.

La Cour a considéré que la CCT n° 81 ne porte pas sur le contrôle du contenu des e-mails reçus ou envoyés par un travailleur via l’ordinateur de l’entreprise. La Cour a toutefois estimé que le droit à la protection de la vie privée, tel qu’il est consacré par l’article 8 de la CEDH et la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, pourrait avoir été violé.

Après examen, la Cour du travail a jugé que les informations dans cette affaire avaient effectivement été obtenues d’une manière qui n’était pas conforme à cet article.

Selon la Cour du travail, les deux notes que l’entreprise a remises à ses travailleurs étaient en effet insuffisantes pour présumer que les travailleurs avaient consenti au contrôle de leurs e-mails. Ces documents avaient été rédigés unilatéralement par l’employeur et n’avaient pas été signés par les travailleurs.

Bien que la Cour ait donc jugé que la preuve du motif grave avait été obtenue de manière illicite, elle a estimé que celle-ci pouvait être admise dans cette affaire.

La Cour a renvoyé à cet égard à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière pénale. Une preuve obtenue de manière illicite peut être utilisée s’il est satisfait aux conditions suivantes :

  • Le droit à un procès équitable n’est pas compromis 
  • La fiabilité de la preuve n’est pas affectée 
  • Aucune condition prescrite à peine de nullité n’est violée

La Cour du travail a jugé que l’infraction commise par la travailleuse, à savoir l’envoi d’informations sensibles à un concurrent de son employeur, pesait plus lourd dans la balance que l’infraction par laquelle l’employeur avait obtenu la preuve.

Après examen de la preuve, la Cour du travail a jugé que le licenciement pour motif grave était fondé et a dès lors rejeté le recours de la travailleuse.

5e affaire : preuve illicite non admise

Dans un arrêt du 20 mai 2019, la Cour de Cassation a estimé que les courriels du travailleurs adressés et reçus avec le matériel que l’employeur met à sa disposition en vue d’un usage professionnel ne pouvaient pas être consultés par l’employeur sans l’accord du salarié.

La Cour a par conséquent cassé l’arrêt de la cour du travail qu’elle a eu à examiner.  Celui-ci avait considéré le motif grave comme établi en se fondant sur des courriels échangés par le travailleur avec un tiers, et avait estimé qu’il était sans intérêt de savoir si le travailleur licencié pour motif grave avait donné ou non son accord, parce que ces courriels étaient sans rapport avec sa vie privée.

La Cour de Cassation a jugé que l’arrêt de la cour du travail violait l’article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques.

Lorsque des moyens de preuve ont été récoltés de manière illicite, la prudence est de mise, et ce, malgré l’existence d’une certaine jurisprudence qui tend à accepter ces preuves lorsqu’un certain nombre de conditions sont réunies. Contactez votre Legal Advisor Securex si vous avez besoin de conseils.

Nous soulignons aussi que d'autres arrêts ont été rendus en la matière. Vous en trouvez l'exposé dans la fiche "Vie privée - 2. Le contrôle électronique des travailleurs" de notre dossier "Vie privée".

La CCT n° 81 conclue au sein du Conseil national du travail [5] nous informe sur l'étendue du droit de contrôle de l'employeur dans le cadre de la relation de travail en ce qui concerne les données de communication électroniques en réseau.Preuves récoltées de manière licite

Nous allons passer en revue, point par point, les éléments à prendre en considération par l'employeur qui désire contrôler les habitudes "internet" de son travailleur et les illustrer par un arrêt qui a été rendu par la Cour d'appel d'Anvers [6].

Il va de soi que lorsque les preuves à l’appui de la faute grave ont été rassemblées de manière légale, elles pourront être prises en compte par le juge dans son appréciation de la gravité de la faute.

Le contrôle doit être autorisé en vertu d'une "loi"

L'atteinte à la vie privée d'un travailleur ne peut avoir lieu que si le principe de légalité est respecté. Concrètement, il faut que la possibilité de contrôle soit prévue par une "loi" (entendue au sens large du terme).

Dans l'affaire qui lui a été soumise, la Cour a constaté que l'employeur avait respecté le principe de légalité car il disposait d'un règlement relatif à l'utilisation de l'internet dans l'entreprise.

Le contrôle doit avoir une finalité légitime

Un contrôle ne peut s'opérer que s'il se fait dans un but légitime. La CCT n° 81 énumère une série de finalités qui peuvent être considérées comme légitimes.

Dans l'affaire dont il est question ici, la finalité du contrôle figurait parmi celles qui sont mentionnées par la CCT n° 81. Il s'agissait d'assurer :

  • La sécurité et/ou le bon fonctionnement technique des systèmes informatiques en réseau de l’entreprise, en ce compris le contrôle des coûts y afférents, ainsi que la protection physique des installations de l'entreprise 
  • Le respect de bonne foi des principes et règles d’utilisation des technologies en réseau fixés dans l’entreprise

Le contrôle doit être proportionnel au but recherché

Si le contrôle entraîne une ingérence dans la vie privée du travailleur, cette ingérence doit être réduite à un minimum.

Dans le cadre spécifique de la CCT n° 81, cela signifie que la collecte de données doit, en principe, rester globale et qu'une individualisation (c'est-à-dire, une identification d'un travailleur déterminé) n'est en principe pas permise.

Toutefois, la CCT permet dans certains cas à l'employeur qui détecte une anomalie de retracer directement, à partir des données globales dont il dispose, le travailleur qui est à l'origine de l'anomalie. C'est notamment le cas lorsque la sécurité du réseau informatique est en jeu.

Dans son arrêt, la Cour a considéré que le contrôle opéré par l'employeur était proportionnel et que celui-ci était en droit de retracer le travailleur à l'origine des anomalies étant donné les circonstances suivantes :

  • Lors du contrôle anonyme opéré dans un premier temps par l'employeur, celui-ci a constaté qu'un travailleur avait eu un usage particulièrement bas du nouveau firewall installé. Il n'était pas déraisonnable pour lui de procéder à l'individualisation de ce travailleur 
  • Il est normal que l’employeur poursuive ses recherches. L’employeur soupçonnait des abus et le travailleur concerné occupait un poste dans le cadre duquel il devait régulièrement avoir accès à internet (il s'agissait en effet du manager ICT) 
  • Dans le cadre de celles-ci, l'employeur a découvert que le travailleur s'était connecté à internet via un ancien "firewall" moins sécurisé. Le bon fonctionnement du réseau informatique était par conséquent menacé 
  • Le règlement interne de l'entreprise qui disposait qu'un usage internet à des fins privées était interdit pendant les heures de travail avait été bafoué. En effet, le travailleur avait pendant deux jours surfé sur le net à des fins presqu'exclusivement privées, "chatté" et envoyé des mails privés

A l'objection que l'employeur n'était pas en droit, dans le cadre de son contrôle individualisé, de consulter le contenu des données collectées relatives au travailleur licencié, la Cour a répondu qu'il n'était en pratique pas possible, dans le cadre d'un contrôle individualisé, de ne pas avoir accès à ce contenu.

La transparence est requise dans le cadre du contrôle

Concrètement, ceci signifie que les travailleurs doivent être suffisamment informés par rapport au contrôle. Dans l'affaire traitée par la Cour, l'employeur disposait non seulement d'un règlement internet décrivant les modalités d'un éventuel contrôle, mais avait aussi organisé des sessions d'information pour ses travailleurs. La Cour a jugé qu'il avait satisfait à son obligation de transparence.

Par ailleurs, l'employeur n'était dans ce cas précis pas obligé d'avertir le travailleur concerné quant au contrôle individualisé dont celui-ci avait fait l'objet.

Conclusion

Etant donné les diverses circonstances de la cause, notamment l'usage abusif que le travailleur a fait de l'internet et du mail pendant les heures de travail [7] et la circonstance qu'il a voulu se soustraire à un éventuel contrôle en accédant au net via l'ancien "firewall", la Cour a estimé que la confiance de l'employeur était définitivement rompue par la faute du travailleur. Elle a donc accepté le licenciement pour motif grave.

Les preuves récoltées par l'employeur ont été acceptées car le contrôle a eu lieu dans le respect de la CCT n° 81.  Nous vous conseillons de mettre en place un règlement relatif à l’utilisation de l’internet et du mail au sein de votre entreprise. Contactez votre Legal Advisor Securex pour en savoir plus.

[1] Cour du travail de Liège, 23 mars 2004.

[2] Cour du travail de Bruxelles, 10 février 2004.

[3] Article 109ter D, 3E de la loi du 21 mars 1991.

[4] Cour du travail de Bruxelles, 3 mai 2006.

[5] Pour consulter cette CCT, consultez le site du Conseil national du travail www.cnt-nar.be.

[6] Arrêt du 9 septembre 2008. 

[7] Le travailleur n'a pas consulté de sites contraires aux "bonnes moeurs" mais l'usage privé qu'il a fait de l'internet pendant les heures de travail était manifestement abusif.

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